Par Tadzio Muller
Prélude à la conférence sur le climat à Cochabamba – une excitation joyeuse et de nombreuses questions (article du 19 avril 2010)
Au petit déjeuner, pris au coin de la rue, la ville apparaît étonnamment vide. Pourtant, plus de 20 000 participants, de plus de 100 pays sont annoncé au sommet alternatif sur le climat (ou, pour être exact, la « Conférence mondiale des peuples sur le chanement climatique et les droits de la Terre-mère » – un peu lourd, mais ça a du sens en espagnol). Il est désormais plus probable que ne viennent que de 10 000 à 15 000 personnes. Conséquence de l’éruption du volcan islandais ou du fait que le gouvernement bolivien, qui a ses racines dans les mouvements sociaux de cultivateurs de coca et de peuples indigènes, ait exagéré à l’avance les chiffres, comme nous le faisons si souvent dans nos actions ? ça n’est pas clair.
L’excitation est néanmoins palpable. Pour la deuxième fois, depuis la « guerre de l’eau », lorsque que Cochabamba a lutté avec succès contre la privatisation de l’accès local à l’eau, la ville est au centre des processus politico-économiques globaux.
Retour en arrière, en décembre 2009. Après la débâcle de la conférence sur le climat manquée – une surprise pour une conférence présentée par une propagande de haut-niveau comme un « espoir pour le monde » (mot clef : « Copenhague, dernière chance ») et pour de nombreux mouvements environnementaux ; mais un échec annoncé plus d’un an à l’avance par les mouvements globaux pour la justice climatique émergents – la même question se pose partout : comment continuer la politique climatique ? Après 15 sommets sur le climat, doit-on continuer à miser sur la convention cadre sur le changement climatique, qui semble toujours un peu plus faible ? Que faire de l’expansion continue des échanges d’émissions, qui certes ouvre des perspectives massives de profits potentiels, mais que même la Deutsche Bank, connu de toute part comme écologiquement radicale, a décrit comme étant dénué de sens d’un point de vue écologique ? Et où peut-on vraiment parler des changements structurels, nécessaire pour au moins parvenir à passer la crise climatique partiellement sous contrôle, comme par exemple la suppression progressive des combustibles fossiles, de l’agriculture industreille et, pour finir, de la folie d’une croissance économique infinie dans une planète finie ?
Face à ce vide, le gouvernement bolivien a été le plus prompt à réagir, du moins à gauche. Evo Morales a appelé à organiser un sommet alternatif sur le climat, dont le but est de créer un espace où formuler une nouvelle politique climatique. Une politique qui appréhende le changement climatique comme un symptôme, au moins indirect, de l’économie capitalise, une politique qui fasse au moins autant confiance aux mouvements sociaux mondiaux qu’aux gouvernements, une politique du climat qui, pour finir, ambitionne de prendre au sérieux les transformations structurelles. Et ils sont maintenant tous là – bon, d’accord, tous ceux qui n’ont pas été bloqués en Europe, en Asie ou ailleurs par un volcan. Des délégations gouvernementales de pays de tous les continents, les autonomes qui prennent d’assaut les sommets, les bureaucrates de l’ONU, les cultivateurs andins de coca. Comment vont-ils pouvoir s’entendre ? Personne ne le sait encore vraiment. Je frémis d’avance en pensant aux problèmes de traduction, pas seulement linguistiques, mais aussi culturels. Sur quoi doivent-ils se mettre d’accord, sur quoi est-il possible de se mettre d’accord ici ? Sur des actions, sur – c’est une proposition du gouvernement bolivien – un referendum mondial sur le changement climatique, voire sur un tribunal international de l’environnement ? S’agit-il ici d’abord d’une sorte de Forum Social Mondial du climat, convoquée cette fois-ci non par les mouvements mais par un gouvernement ? Et pour moi, qui ai toujours préférer protester à l’extérieur des sommets que discuter de l’intérieur : où sont les contradictions, qu’est-ce qui est en train d’être caché sous le tapis, de sorte que de l’extérieur, tout ait l’air harmonieux et joli ? De nombreux critiques ont déjà levé la voix, Evo et son parti-mouvement/mouvement-parti (le MAS, le mouvement pour le socialisme) excluent d’autres groupes et des Indigènes de la conférence, et sont, à la maison, favorables à un « nouvel extractivisme », pour l’exploitation classique des ressources naturelles, même si internationalement ils parlent de manière intelligente de la « Pachamama », « la Terre-mère » des indigènes.
Beaucoup de questions. On verra quelles réponses les prochains jours nous apporterons. Je dois maintenant y aller, je suis déjà en retard : soit pour me rendre à une action critique contre le sommet, soit pour le discours d’ouverture d’Evo. Un sommet complètement différent, ou bien l’éternel retour du même ? Plus d’informations là-dessus dans les prochains jours…
D’un côté, de l’autre (article du 20 avril 2010)
Sommet ou Forum Social Mondial pour le climat ? Intervention concrète dans l’équilibre global des pouvoirs ou bien événement purement discursif ? Faire la fête ou bien critiquer ? Le premier jour du sommet alternatif sur le Climat de Cochabamba n’a pas vraiment apporté de réponse évidente, mais plutôt un d’un-côté/de-l’autre permanent.
Sommet : la conférence est surveillée par tant d’uniformes qu’on en viendrait à perdre à la vue d’ensemble. Ai-je été réprimandé par la police régulière, par la police militaire ou bien par un soldat ? Peu importe. Qui ses hommes au regard sombre, équipé de leurs énormes fusils de chassent protègent-ils ? et qui intimident-ils ?
Forum Social Mondial : de nombreux-ses participant-e-s ne prennent pas part aux groupes de travail organisés longtemps à l’avance mais sont allongés sous le soleil agréablement chaud, debout dans une file attendant leur nourriture gratuite issue de l’économie solidaire, ou observent les flux multicolores de gens qui s’activent sur le campus de l’université.
Comme je l’ai dit : d’un côté, de l’autre… D’un côté, la conférence est un signe politique incroyablement important. Ici, on ne parle pas seulement du changement climatique comme un problème abstrait lié à l’accumulation invisible de gaz, mais comme la conséquence de la croissance capitaliste folle. Evo Morales s’est construit, ainsi qu’aux mouvements, une scène sur laquelle il est possible de raconter une histoire (anticapitaliste) sur le monde, qui n’a ailleurs que très peu d’espace. Cela ne doit pas être sous-estimé. D’un autre côté, on ne sait pas ce qui adviendra vraiment des déclamations solennelles – entre autres parce qu’Evo Morales et sont gouvernements semblent parfois jouer un double jeu, qui ne devrait pas être inconnu des observateurs des négociations de l’ONU sur le climat : au niveau international, tenir de très beaux discours, mais au niveau national mettre en œuvre le « business as usual » courant et sale. La Bolivie n’est, par exemple, pas seulement l’avant-garde d’une nouvelle politique climatique anticapitaliste, mais aussi – aux côtés du gouvernement du camarade Hugo Chavez, celle de ce que l’intellectuel Uruguayen Eduardo Gudynas décrit comme « nouvelle extractivisme », autrement dit un modèle de développement qui s’inscrit pleinement dans la logique du capitalisme fossile prédateur de ressources. Que cela soit contrôlé étatiquement ou par le secteur privé n’est pas vraiment important. Cela sans même aborder les critiques internes sur la politique de son mouvements MAS, particulièrement la marginalisation des groupes indigènes qui ne sont pas conformes à la ligne du MAS, de son culte grandissant de la personnalité, et bien plus encore.
La question suivante se pose alors : comment exprimer la critique ? Après tout, ce ne sont pas vraiment les hommes au regard sombre avec leur fusil de chasses qui cachent les forces sceptiques vis-à-vis du MAS et d’Evo qui formulent cette critique, mais plutôt la situation interne à la Bolivie. Les gouvernements de gauche en Amérique Latine doivent toujours, comme le montre l’histoire, faire face à un ensemble puissant formé par l’élite interne réactionnaire et ses alliés internationaux (souvent, mais pas uniquement, les Etats-Unis). Quelqu’un se souvient-il encore du coup d’état manqué contre Chavez au début de la décennie passée ? Sans parler du Chili, du Guatemala ou d’autres pays. En Bolivie, cette opposition de droite, clairement contre-révolutionnaire prend la forme d’un « mouvement pour l’autonomie » des régions de plaine les plus riches du pays contre les régions pauvres des plateaux, dans lesquelles le MAS est actif. Ces demandes d’autonomie ont à plusieurs reprises amené le pays au bord de l’effondrement. Dans une telle situation, toutes les forces de gauche doivent être prudentes, pour éviter que leurs critiques éventuelles envers Evo et le MAS ne jouent pas le jeu de la droite radicale (c’est clairement une question que l’on retrouve à l’échelle internationale à propos du climat : les personnes qui critiquent l’ONY ne jouent-elles pas le jeu des USA et des climatosceptiques ?).
Le résultat concret de ce complexe d’un-côté/de-l’autre : hier soir, je devais me rendre à une rencontre avec un collectif critique du MAS, pour préparer une action qui devait permettre d’exprimer une position critique, mais pas complètement antagoniste à l’intérieur de la conférence. La réunion (très pittoresque, presque gothique/morbide : elle devait se tenir dans un cimetière) a été annulée au dernier moment. Pourquoi ? Au lieu de préparer l’action, le collectif s’est décidé à collecter les ordures sur les lieux de la conférence.
D’un côté, de l’autre : ça ne changera pas vraiment d’ici la fin de cette rencontre. À ce propos, un de mes amis m’a dit hier : une politique qui n’est pas aussi un petit peu bordélique, un peu compliquée et peu claire n’en vaut pas la peine. À cela, pas d’alternative.
Traduit de l’allemand par Nicolas Haeringer dans le cadre du projet www.m-e-dium.net
initialement publié sur http://bewegung.taz.de/aktionen/bol…